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Avis d'experts

Le charme discret de l’investissement dans les institutions de microfinance

Par Me CAMARA Lassiney - 14 février 2018

On n’est pas tous égaux quant à l’accès au crédit, au cœur de l’économie de marché, aussi bien dans les pays dits développés que dans les pays en voie d’émergence.

Avec la bénédiction de l’État, la microfinance ou la petite finance du pauvre, dirait-on, appelle à elle les exclus du système bancaire classique.

En Côte d’Ivoire où elle est née à partir des années 1976, la microfinance est régie principalement par la loi 96-562 du 22 juillet 1996 portant réglementation des Institutions Mutualistes ou Coopératives d’Épargne et de Crédit dite IMCEC; son décret d’application n° 97-37 du 22 janvier 1997 et l’ordonnance n° 2011-367 du 3 novembre 2011 portant réglementation des Systèmes Financiers Décentralisés qui traduit un effort d’harmonisation impulsé par l’Union Économique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA) et la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Afin de lutter contre la pauvreté et permettre aux populations faiblement endettées de financer leur activité à des coûts réduits, le législateur fiscal ivoirien soutient le secteur de la microfinance par un régime fiscal de faveur où foisonnent des exonérations largement consenties.

L’investisseur potentiel, voulant en outre paraître comme le bon samaritain, ne manquera surtout pas de se demander quelles sont la consistance et la portée de ces exonérations.Nous tenterons de répondre à cette question par l’examen des exonérations applicables aussi bien aux structures de microfinance ellesmêmes (I) qu’à l’investisseur (II).

I. Les exonérations fiscales applicables aux structures de microfinance en Côte d’Ivoire

Ces exonérations concernent aussi bien les impôts indirects (A) que les impôts directs (B).

A. Les exonérations d’impôts indirects

Au principal, l’exonération couvre la taxe sur les opérations bancaires et les droits d’enregistrement.

En effet, en application de l’article 398.9 du Code Général des Impôts (CGI), les structures de microfinance implantées en Côte d’Ivoire sont exonérées de la taxe sur les opérations bancaires au taux de 5% à raison de leurs opérations de collecte de l’épargne et de distribution du crédit y compris les paiements d’intérêts sur les crédits obtenus par leurs membres.

Par ailleurs, l’article 629 du CGI exonère des droits d’enregistrement, outre les actes concernant leurs opérations de collecte de l’épargne et de distribution du crédit, les actes portant sur les acquisitions immobilières des institutions de microfinance.

B. Les exonérations d’impôts directs

Ces exonérations concernent les impôts sur le revenu.

En effet, en application des dispositions de l’article 4 A.8 du CGI relatives à l’imposition du résultat, les structures exerçant dans le secteur de la microfinance en Côte d’Ivoire quelle que soit leur forme, sont affranchies de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux réalisés en Côte d’Ivoire soit 25% pour les personnes morales et 20% pour les personnes physiques.

En outre, conformément à l’article 215 du CGI, les structures de microfinance sont exonérées de l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) et de l’impôt sur le revenu des créances (IRC).

Au total, les structures n’ont à payer ni la taxe sur les opérations bancaires, ni les droits d’enregistrement, ni l’impôt sur les bénéfices, ni l’impôt sur les revenus de valeurs mobilières et l’impôt sur les revenus de créances. Mais le législateur fiscal ivoirien a fait mieux.

II. Les exonérations applicables aux investisseurs

En complément des exonérations accordées aux structures de microfinance elles-mêmes, les membres ou clients des structures de microfinance bénéficient d’exonérations tant en matière d’impôt cédulaire qu’en matière d’impôt général sur le revenu.

Toutefois, si l’exonération des revenus périodiques est un acquis (A), celle de l’éventuelle plus value de cession des droits détenus dans une structure de microfinance, bien que non organisée par les textes, demeure possible (B).

A. L’exonération des revenus périodiques

Cette exonération impose que soit différencié selon que l’investisseur est domicilié ou résident en Côte d’Ivoire (1) ou à l’étranger (2).

1. L’investisseur domicilié ou résident en Côte d’Ivoire

Les exonérations profitent aussi bien à l’investisseur relevant de la fiscalité des entreprises (a) qu’à celui relevant de la fiscalité des ménages (b).

a) L’investisseur relevant de la fiscalité des entreprises

C’est l’hypothèse d’une entreprise individuelle ou d’une personne morale relevant de l’IBIC, et associé d’une structure de microfinance qui lui verse des dividendes ou des intérêts.

En application de l’article 4 A-8 du CGI, les rémunérations de parts sociales (dividendes) et les rémunérations de l’épargne (dépôts à terme) échappent toutes à l’IBIC.

La valeur après impôt de l’investissement est fournie par l’équation suivante qui traduit le double niveau d’exonération 1

En effet, chaque année, l’investissement capitalise au taux de rentabilité avant impôt dès lors que le taux d’imposition marginal BIC applicable à l’institution de microfinance (tbicimc) est nul, d’où I (1+ R(1-tbicimc)n .

Puis, l’investisseur perçoit la totalité de cette rentabilité sans frottement fiscal dès lors que le taux d’imposition marginal BIC applicable à l’investisseur est nul, d’où
I (1+ R(1-tbicimc)n .bicimc (1-tbici) + tbici).

La supériorité fiscale d’un tel investissement est indéniable quelle qu’en soit la durée de détention par rapport à un investissement réalisé dans une société opaque de droit commun dès lors que les taux d’imposition marginaux de cette société et de l’investisseur sont supérieurs à zéro.

b) L’investisseur relevant de la fiscalité des ménages

Les rémunérations des parts sociales ou de l’épargne que l’investisseur tire de l’investissement dans une structure de microfinance seront exonérées des impôts frappant les revenus, en l’occurrence l’IRVM en ce qui concerne les distributions de bénéfices, l’IRC en raison des revenus d’épargne et l’impôt général sur le revenu (IGR), pour la totalité du revenu.

Ainsi, les rémunérations de parts détenues par l’investisseur dans une microfinance ivoirienne échappent à l’IRVM aux taux de 10% pour les dividendes régulièrement mis en paiement par les sociétés cotées en bourse; 15% pour les lots d’obligations; 18% pour les dividendes prélevés sur des bénéfices exonérés de l’IBIC ou qui n’ont pas supporté l’impôt au taux de droit commun et 12% pour tous les autres produits et toutes les sommes imposables à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières.

De même, les revenus de l’épargne placés auprès de ces structures se trouvent épargnés de l’IRC dont le taux de droit commun est de 18 % sous la réserve de taux plus réduits applicables aux comptes de dépôts.

À cet effet, le taux de l’IRC varie en fonction de l’échéance de compte. Il est respectivement de 13,5%, 10%, 5%, 1% selon que l’échéance est inférieure ou égale à un an, comprise entre un an et trois ans, comprise entre trois et cinq ans ou supérieure à cinq ans.

En conséquence, la rentabilité avant impôt est égale à la rentabilité après impôt en raison de ces exonérations.

2. L’investisseur domicilié ou résident à l’étranger

En droit commun, en application des articles 182 et 193 du CGI, les distributions de dividendes et les revenus de créances de source ivoirienne subissent des retenues à la source sous la réserve des dispositions de convention fiscales internationales signées par la Côte d’Ivoire ainsi que du droit communautaire de l’UEMOA, laquelle a réalisé une avancée notable dans l’harmonisation de la fiscalité2. Mais dans le cadre du régime fiscal applicable à l’investissement réalisé dans une structure de microfinance, le législateur fiscal ivoirien a accordé les exonérations susvisées sans distinguer selon que l’investisseur est domicilié en Côte d’Ivoire où à l’étranger.

Ainsi, en présence ou l’absence d’une convention fiscale, un investisseur domicilié à l’étranger qui investit dans une structure de microfinance en Côte d’Ivoire échappera également à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières, l’impôt sur les revenus de créance, ainsi que l’impôt général sur le revenu, au titre des distributions et intérêts versés par la structure de microfinance.

Mais à l’égard de cet investisseur, le cycle de l’investissement l’oblige à prendre en compte le régime fiscal de l’investissement dans l’État de son domicile ou de sa résidence.

D’une part, même si l’investissement est fiscalisé in fine dans l’État de son domicile ou de sa résidence, l’investissement peut demeurer attractif à un double titre:

En premier lieu, l’investissement peut capitaliser en Côte d’Ivoire un taux de rentabilité avant impôt qui peut être supérieur à celui d’un investissement alternatif dans l’État du domicile ou de la résidence.
En second lieu, l’investissement peut bénéficier d’un différé d’imposition dans la mesure où l’imposition n’interviendra dans l’état du domicile ou de la résidence qu’une fois les revenus acquis, soit au titre de l’exercice de la distribution des bénéfices ou de l’échéance des intérêts.
À taux d’imposition constant, plus l’horizon de détention est longue, plus important est l’avantage tiré du différé d’imposition dès lorsque la charge fiscale exprimée en valeur actualisée est plus faible. Il ne s’agit pas d’un simple avantage de trésorerie.

Bien entendu, les règles de lutte contre l’évasion fiscale comme le régime des sociétés étrangères contrôlées doivent être prises en compte durant l’investissement3.

D’autre part, l’investissement peut bénéficier d’une exonération dans l’État du domicile ou de la résidence de l’investisseur, aboutissant ainsi à une véritable double non imposition.

Ce résultat peut être poursuivi par la combinaison du régime fiscal en Côte d’Ivoire et du régime très courant de société mère-fille dans l’État du domicile de l’investisseur, lequel régime permet, sous certaines conditions, d’exonérer d’impôt sur le résultat, les distributions de dividendes provenant de la filiale qui peut être une société étrangère alors même que les dividendes seraient prélevés sur des bénéfices locaux exonérés.

B. Le traitement des plus-values de cession des parts détenues dans une structure de microfinance

Lorsque l’investissement se dénoue par la cession des parts détenues dans une structure de microfinance, le droit fiscal ne prévoit pas d’exonération. Ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent aussi bien à l’investisseur domicilié ou résident en Côte d’Ivoire (1) ou à l’étranger (2).

1. L’investisseur domicilié en Côte d’Ivoire

Si l’investisseur relevant des BIC cède ses parts détenues dans une structure de microfinance, il s’agit d’une opération taxable au taux de droit commun.

Mais la cession peut bénéficier sur option d’un différé d’imposition, si les conditions du régime de l’exonération sous condition de remploi sont réunies.

Quant à l’investisseur relevant de la fiscalité des ménages, en application des articles 251 et 254 du CGI, la cession ne sera soumise à l’IGR au taux consolidé de 12,5%4 que:

Il s’agit d’une participation substantielle représentant au moins 25% du capital de la société;
Le cédant a exercé au cours des cinq dernières années une fonction de dirigeants;
La cession a été faite au profit d’un tiers;
Le montant de la plus value dépasse 100 000 F. CFA

2. L’investisseur domicilié à l’étranger

Si l’investisseur relève de la fiscalité des entreprises, la plus value échappera à l’impôt en Côte d’Ivoire.

S’il s’agit d’une personne physique relevant de la fiscalité des ménages, elle sera soumise au traitement identique sus-examiné applicable à l’investisseur domicilié en Côte d’Ivoire, en matière d’IGR. Alors, l’investisseur pourra ainsi être imposé, ou échappé à l’impôt dans les mêmes conditions.

Au demeurant, la prise en compte de la fiscalité dans l’État du domicile ou de la résidence de l’investisseur peut aboutir à une taxation ou une exonération.

À cet égard, on peut citer les régimes fiscaux français, belge ou d’autres pays européens qui exonèrent d’impôt, les plus-values de cession de participation5.

En résumé, on retiendra que le secteur de la microfinance en Côte d’Ivoire est dynamique et en pleine croissance.

Le régime fiscal de faveur qui l’accompagne a été consenti sans la moindre restriction si bien que les investisseurs relevant d’un taux marginal d’imposition peuvent en tirer profit en procédant à un arbitrage fiscal.

La niche de la microfinance, perçue comme la finance du pauvre pourrait bien enrichir les pauvres riches !

(1+ R (1-tbicimc)n (1- tbici) + tbici) sachant que I =Investissement; R= taux de rentabilité avant impôt de l’investissement (en pratique, les SFD pratiquent des taux souvent similaires à ceux des banques); n = durée de l’investissement exprimée en nombre d’années; tbicimc= taux d’imposition marginal BIC applicable à l’institution de microfinance et tbici = taux d’imposition marginal BIC applicable à l’investisseur.

2 Voir la Directive n°08/2008/CM/UEMOA du 26 septembre 2008 portant harmonisation des taux de l’impôt assis sur les bénéfices des personnes morales dans les États membres. La Directive n° 02/2010/CM/UEMOA du 30 mars 2010 portant harmonisation de la fiscalité applicable aux valeurs mobilière dans les États membres de l’UEMOA.

3 Aux USA, voir le régime de la subpart F. En France voir l’article 209 B du CGI.

4 1/3 de la plus-value X le taux marginal d’imposition par hypothèse 36% en application de l’article 254 CGI.

5 Article 192 du Code des Impôts sur les Revenus belges et Article 219, I-a-quinquies du Code Général des Impôts français.

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